Si vous pensez que les photos ne vous rendent pas justice, sachez que les miroirs, votre cerveau et les canons de beauté très artificiels n’y sont pas pour rien.
Vous avez tous déjà entendu quelqu’un, en voyant la tête qu’il faisait sur une photo, dire de lui qu’il n’est pas photogénique. Comme pour s’excuser de ne pas y être à son avantage.
Et, à l’inverse, connaissez quelqu’un d’autre dont le visage est radieux sur les photos, quelles que soient les circonstances.
Or, vous avez dû remarquer que les personnes qui rendent bien à l’image ne sont pas toujours celles qui sont belles dans la réalité.
Et inversement. «Les canons photogéniques et les canons de beauté de la vraie vie ne sont pas forcément les mêmes», atteste Justine Marillonnet, docteure en sciences de l’information et de la communication et spécialiste des images de mode.
S’il n’y a pas adéquation entre beauté et photogénie (alors même que l’une des définitions de la photogénie est, suivant le Centre national des ressources textuelles et lexicales, «qualité d’une personne ayant un physique agréable et séduisant dont la reproduction photographique produit un certain effet esthétique»), qu’est-ce qui fait alors que vous êtes et vous trouvez ou non rayonnant sur les photos?
La réponse se situe avant tout dans votre cerveau, mais elle n’est pas pour autant à 100% naturelle.
Parce que la culture vient y mettre son grain de sel, signe que la photogénie est un joli symbole de notre rapport à l’image.
Déjà, c’est une question de regard. «Cela dépend du photographe, signale Olivier Ciappa, dont c’est le métier.
Qu’est-ce qu’il a envie de montrer?
Comment voit-il le modèle?
Un photographe qui voit le modèle comme étant très beau va essayer, sans s’en rendre compte, de garder sur la photo cet instant qui l’a charmé.
Si le photographe ne trouve pas les gens beaux, on aura l’impression sur ses photos que les modèles sont presque morts, des mannequins au sens premier du terme.»
Mais même si la personne qui vous photographie est talentueuse et a l’intention de faire valoir la photogénie du modèle, avec plus ou moins d’artifices (on sait bien que l’angle de prise de vue ainsi que le cadrage peuvent sublimer comme amochir un beau visage), vous pouvez très bien ne pas vous trouver photogénique.
C’est qu’il y a plein de facteurs extérieurs qui viennent fausser votre rapport à l’image et peuvent être à l’origine de cette croyance enracinée qui est la vôtre selon laquelle vous ne serez jamais bien sur aucune photo.
D’abord, l’image de vous à laquelle vous êtes habitué(e) est votre reflet.
En conséquence, vous allez préférer cette image inversée de vous à celle qui est vraiment la vôtre.
C’est ce qu’avaient démontré à la fin des années 1970 des chercheurs dans une étude intitulée «Reversed Facial Images and the Mere-Exposure Hypothesis».
Comme l’expliquait cet article publié en 2013 sur io9, cette préférence pour l’image du miroir est due à l’effet de simple exposition (mere-exposure effect en anglais), selon lequel, plus on est exposé à un stimulus, ici l’image de soi dans le miroir, et plus on y est familier, plus on va développer une attirance pour ce dit stimulus. CQFD.
Les canons photogéniques et les canons de beauté de la vraie vie ne sont pas forcément les mêmes
Justine Marillonnet, spécialiste des images de mode
Pour autant, il ne suffit pas de se voir davantage en photo que dans le miroir pour, d’un coup d’un seul, s’habituer à son image et se trouver photogénique.
Parce que le cerveau a aussi tendance à trouver les photos moins flatteuses que la réalité ou même que les vidéos.
Pour preuve, comme le relevait cet article de Motherboard, publié en 2016, «lorsque vous mettez en pause une vidéo YouTube sur laquelle une personne était en train de parler, elle aura immanquablement une tête stupide».
Plusieurs raisons à cela: l’effet visage figé (frozen face effect en anglais), que des chercheurs en psychologie n’ont pas manqué d’étudier.
Les résultats de leurs expérimentations ont été publiés en 2012, en anglais, dans la revue Frontiers in Psychology dans un article titré «The frozen face effect: why static photographs may not do you justice».
Pour faire simple, ils y écrivent que, bien sûr, ces images ne sortent pas de nulle part: vous les voyez, que ce soit dans la vraie vie ou en vidéo; mais votre cerveau va alors en quelque sorte les filtrer pour en faire une seule et même image mouvante; par conséquent, une image fixe donnera une impression de mauvais rendu en ce qu’elle est un «mauvais échantillonnage des expressions faciales» de l’image mouvante.
Autre hypothèse signalée, qui fait intervenir la théorie du codage, résumée à Ouest-France en ces termes par le chercheur au CNRS en biologie de l’évolution et en sciences cognitives Julien Renoult:
«Ce que l’on trouve beau, c’est une information visuelle facile à coder pour notre cerveau.
C’est ce qui consomme peu d’énergie et mobilise peu de neurones.»
Les chercheurs ayant scruté l’effet visage figé suggèrent que les visages statiques sont perçus comme moins attractifs parce que le cerveau aurait plus de mal à les décrypter.
«Bien que nous puissions reconnaître l’image fixe d’un visage, il se peut qu’elle ne soit pas aussi reconnaissable qu’une image en mouvement, dont l’efficacité de traitement peut conférer une attractivité accrue», pointent-ils.
De quoi aider à ne pas se trouver photogénique.
Mécanisme de défense
Sauf que, si ces effets de simple exposition et de visage figé s’appliquent à tous, tout le monde n’est pas persuadé d’être atroce en photo.
Sans compter qu’il faut admettre, objectivement, qu’il y a des gens qui ne sont pas mis en valeur par les photos prises d’eux tandis que d’autres attirent sur la pellicule ou l’écran tous les regards.
C’est parce que la photogénie ne se résume pas à une seule question de perception –même si elle en découle quand même fortement.
Les gens qui se disent “pas photogéniques” vont créer sans s’en rendre compte des tics, des marques sur leur visage qui vont les enlaidir.
C’est un cercle vicieux
Olivier Ciappa, photographe
«Pour moi, ce n’est pas une question d’être ou de ne pas être photogénique", indique t il !
Mais soit on est à l’aise devant un appareil photo, soit on est en défense.
Si vous êtes convaincu que vous n’êtes pas photogénique et vous refermez à chaque fois que vous entrapercevez un objectif, il y a en effet plus de risque que vous n’apparaissiez pas sous votre meilleur jour sur les photos, ce qui vient renforcer les effets précédemment décrits.
Pression sociale
Mais, attention, il ne suffit pas non plus d’être à l’aise.
Il faut aussi que ce soit vrai –et c’est peut-être pour cela, fait remarquer Justine Marillonnet que l’on dit en regardant des photos sur les réseaux sociaux «Tu vois comme elle est belle?!», faisant fi du terme «photogénique» et oubliant que l’on est dans le monde de l’image et non dans la réalité.
«Une personne qui a juste envie de s’amuser va être géniale en photo tandis que celle qui veut montrer qu’elle est fun et drôle ne donnera pas forcément envie, souligne Olivier Ciappa.
On entretient un peu le même rapport avec l’appareil photo qu’avec une personne que l’on veut draguer: si l’on veut bien faire, cela va créer des tensions, quelque chose d’un peu ridicule, qui ne sera pas charmant.»
C’est là que les canons de beauté viennent aussi compliquer la donne; ils fournissent une pression supplémentaire et mettent à mal, à grands renforts de bouche en cul de poule, la spontanéité.
Alors que c’est justement elle qui vient doper la photogénie, insiste le photographe professionnel: «On vit dans une société où l’on veut nous faire croire, surtout au travers de la presse féminine, que la beauté, c’est telle coiffure, telles mensurations, alors que c’est l’épanouissement.
Ce qui rend bien en photo, c’est la gaieté.
Si vous êtes pris en photo à contrecœur, votre visage s’en ressentira; mais, plus vous essaierez d’être photogénique, plus cela risquera de vous échapper.
L’équilibre est à trouver entre le refus de poser et la pose surfaite.
En fait, la photogénie, c’est une question de laisser-aller –et de se laisser imager.
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